Uitgeteld en plat in Sheffield

K.-O. sans appel à Sheffield

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Si Sheffield, cette cité métallurgique jadis si fameuse, ne possède ni monuments ni petits canaux authentiques, ni pubs attrayants, ni collines où quelque lord ou chevalier aurait un jour passé l’arme à gauche dans la énième bataille avec pour enjeu un comté, elle le compense largement par sa couleur locale, c'est-à-dire par les habitants mêmes qui se remettent, dès la fin de la première journée de travail, à préparer la grande bacchanale de sorties nocturnes, beuveries et orgasmes verbaux, qui peut se prolonger jusqu’à la fin de la semaine et ne connaît ni règle ni mesure. Quand il sort, l’Anglais se libère de sa classe, des conventions sociales et de son flegme atavique.

La rue principale est aménagée de façon à accueillir le maximum de fêtards qui prennent possession de cette zone urbaine où il ne se passe rien ou presque par un après-midi maussade, et en font un terrain de chasse pour satisfaire alors toutes les pulsions triviales possibles telles que jurer, hurler, gueuler, cracher, provoquer, montrer les dents, se forcer un passage à l’entrée d’un café, se dévêtir, en venir aux coups, glander en se bourrant comme un cochon ou vomir tripes et boyaux. Bref, tout ce qu’un Anglais ne ferait pas. J’ose dire que j’en ai appris davantage sur les Anglais en les côtoyant pendant quelques soirées dans les pubs qu’en lisant trente-six bouquins sur la culture et le tempérament anglais. Mieux encore, tous les livres de référence que j’ai lus par la suite ont confirmé l’image que je m’étais faite. L’ironie et le self-control que l’Anglais produit sans le moindre effort durant la semaine, il les perd complètement dès que la lumière du vendredi après-midi cède la place à la nuit tombante.

Avant qu’Oussama Ben Laden ne se radicalise définitivement dans son rejet de l’Occident, il a dû, j’imagine, fréquenter un samedi soir cet enfer de l’alcool. Un regard à travers la vitre d’un pub archicomble lui a sans doute donné l’ultime chiquenaude en direction de Tora Bora. Voici l’Occident dans ce qu’il a de plus avachi. Tout respire la dépravation. Et si on a jadis traité avec la plus grande méfiance, si on a réprouvé et banni le moindre penchant pour ou l’abandon à l’excès en sanglant tout un chacun dans le corset des conventions sociales, l’Anglais s’en est désormais bel et bien débarrassé. Pendant le week-end, le constat – confirmé par toutes les études anthropologiques - que seuls les Japonais surpassent les Anglais en matière de raideur et de formalisme, est systématiquement torpillé. Sheffield, le samedi soir, est un vaste manga débridé !

La décadence – jadis réservée à l’élite qui pouvait s’y plonger comme le stade ultime d’une civilisation dans laquelle tout ce qui a été acquis est reperdu d’un simple geste – est maintenant à la portée de n’importe qui. Un crève-la-faim peut s’imaginer une soirée entière être un consul marié à son cheval pour découvrir le lendemain qu’il est toujours un crève-la-faim et que sa femme est restée un cheval.

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Je sais tout cela parce que mon appartement a vue sur le parking où la jeunesse locale range ses bagnoles japonaises pour se hâter ensuite – les filles se trémoussant du popotin sur leurs talons aiguilles aussi hauts que des rasoirs de coiffeurs, leurs doigts boudinés tirant avec agacement sur leur mini-jupe bien trop courte sous laquelle évolue une paire de jambes bronzées au solarium qui ont l’air de fricandelles, et les garçons, tous sans exception des reproductions anémiques de footballeurs britanniques de deuxième division - vers les établissements où les beuveries peuvent commencer. La comparaison avec un groupe de dames d’honneur accompagnant leurs chevaliers au tournoi nous guette, mais 1500 ans d’émancipation sont passés par là : ce sont désormais les femmes qui portent la culotte et les hommes qui suivent en titubant un peu, comme une sorte de butin accessoire.

À mes yeux, les Anglais sont le peuple le plus policé de la terre parce qu’ils ont érigé en norme le discours indirect ; rien ne se fait en une fois et la rudesse hollandaise qui donne à la prétention hollandaise d’avoir toujours et partout raison une verdeur qui m’horrifie parfois et me donne le vertige, conduirait ici à un suicide social. Quand je regarde les Anglais, c’est comme si je regardais un épisode de Planet Earth où est présentée la tribu animale qui a érigé la communication et l’interaction en expression artistique ; je pousse de petits cris de plaisir quand je vois se former une queue ; je trouve jouissifs les silences dans le métro, silences résultant d’un savoir-vivre intériorisé, de conventions et d’un comportement d’évitement, ainsi que la manière dont une conversation avec des inconnus a toujours pour objet d’en apprendre le moins possible les uns sur les autres. Quand le documentaire est terminé, je le remets volontiers aussi vite que possible.

Pendant le week-end, c’est un tout autre documentaire qui est diffusé, la version non censurée, crue, qu’il vaudrait mieux ne pas montrer, seulement voilà, les participants à cette mascarade aussi joyeuse que monstrueuse excellent à faire étalage de toute la panoplie d’inepties, de jurons et de hurlements imaginables. Ce que je trouvais frappant, c’est l’impudence avec laquelle s’affiche un comportement dont, en réalité, nous aurions honte si nous avions tout notre bon sens. L’Anglais n’est pas à l’aise avec les secrets, dissimuler quoi que ce soit est tabou. Intimité, yes ; secrets, no. Et qu’y a-t-il de plus beau que de n’avoir aucun secret quand on est en compagnie de ses amis, de ceux qui ont le droit d’approcher la sphère intime : « Hé, les copains, visez un peu mes nichons ! »

Sheffield le samedi soir, c’est comme le carnaval à Maastricht : tout le monde est déguisé pour une danse macabre érotique et peu importe ce qu’on dit et qui on est : la seule chose qui compte est la place qu’on s’attribue dans la polonaise du plaisir et de l’exubérance.

La boisson est le moteur qui nourrit cette entreprise épuisante d’un mélange plaisant d’étourderie et de courage donnant aux Anglais l’indispensable impulsion extérieure qui pousse la conscience à aller faire un petit tour. À mes yeux, on cesse d’être anglais à partir de cet instant, et j’assume sciemment le risque qu’on se moque de moi pour cette idée. L’homme et la femme que j’ai vus sortir le soir n’ont rien à voir, à mon avis, avec la femme et l’homme qui grimpent l’escalier le lundi matin en direction de leur bureau, ce sont deux êtres, deux entités différentes qui s’excluent. Deux îles, en fait.

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La vie des pubs à Sheffield a quelque chose de particulier ; quand j’entre dans un bar aux Pays-Bas, j’ai l’impression de pénétrer dans un lieu où il se pourrait que je dérange l’ordre établi. C’est une illusion, si on veut, mais cette illusion est nourrie par l’expérience de toutes les années où je suis entré dans des cafés. Dans un bar néerlandais, on doit se disputer sa place, rien ne va de soi, surtout dans les établissements branchés qui connaissent une hiérarchie et un code social rivalisant avec ceux de plus d’une confrérie. Heureusement, dans les bistrots, il est plus facile de franchir le seuil mais là aussi, il y a des règles.

En pénétrant dans un pub anglais, on a le sentiment d’être la dernière personne attendue pour que la fête soit complète ; pendant un instant, il règne une cordialité, disons une convivialité, qui se reflète sur les visages des clients et des bistrotiers. Si je meurs, que ce soit dans un pub anglais, on boira à ma santé, et s’il y a par hasard un Irlandais dans les parages, les chants non plus ne feront pas défaut.

Le temps du week-end, les pubs se transforment malheureusement en un ghetto de folie furieuse. L’heure de fermeture, absurdement précoce, oblige les jeunes à boire beaucoup trop en un laps de temps trop court, une routine cultivée de la même façon que les Anglais cultivent tous leurs points forts avec une forme aimable d’ironie. S’accoter au zinc, ce n’est pas seulement une fuite hors de la dure réalité quotidienne, c’est un événement social au cours duquel les différences de classes ne comptent plus et qui fait qu’un étranger, à condition de faire preuve de respect pour les usages du comptoir, est accueilli avec autant de chaleur que le plus ancien des habitués. Ce qui m’a tout de suite frappé quand je suis passé dans un certain nombre de ces cafés – il n’y a pas d’autre source de distraction dans cette ville – c’est l’intense solidarité avec laquelle jeunes et vieux bivouaquent côte à côte ; une fois franchi le seuil de l’établissement, il semble qu’il n’existe plus de fossé entre les générations ou de différence entre les sexes. La bière remplit ici la fonction égalitaire que remplissent chez nous le football et le sexe.

Je mentirais si j’omettais de dire que ces scènes de la vie nocturne me choquaient. Elles me collaient une fois de plus le nez la pruderie du contexte qui m’a vu grandir, où toute forme de nudité, toute manifestation de sensualité ou de luxure étaient réprouvées avec la plus grande sévérité. Bien qu’ayant eu ma part de nudité, de sensualité et de luxure, je supporte difficilement de les voir chez autrui. J’ai l’impression qu’on me présente un agrandissement moyenâgeux de toutes les saloperies que j’ai commises ces dernières années. Il se trouvera assez de gens pour dire qu’il ne s’agit pas de saloperies, mais de la vie, tout simplement.

Si mon collègue, l’auteur Herman Brusselmans, venait bivouaquer par ici, il saurait comment s’y prendre face à tant de licence juvénile, il sortirait un personnage du lot pour le transformer en Tout-un-chacun (1) de la société contemporaine du jetable, un monde où l’individu pense qu’il est né pour pousser le plus possible de cris débiles comme dans un reality show, où la drogue est considérée comme un médicament et consommée comme un produit de base et où le sexe ne joue pas d’autre rôle que de faire passer les deux trous d’air de l’ennui.

Il trufferait l’ensemble d’une intrigue subtile avec la visite d’un écrivain sur le retour, – quotidiennement bourré, à l’haleine fétide, et même pas en état de passer correctement sa ceinture dans toutes les pattes de son pantalon – qui entamerait une liaison avec une toute jeune serveuse. À Sheffield, il découvrirait qu’il y a encore quelques endroits dans le monde où il lui reste du sex-appeal. Naturellement, il engrosserait la serveuse pour constater que la demoiselle en question voudrait garder le fruit de leur relation et qu’à partir de ce jour elle ne le verrait plus qu’en passant. Elle se retirerait dans un de ces faubourgs où, durant le week-end, toutes les voitures sont correctement garées dans la rue dans un bel alignement tandis que derrière les portes des maisons sont débitées cochonneries les plus improbables. L’auteur paierait sa témérité d’être venu chercher des explications d’une bagarre dans laquelle il laisserait pour le moins une ou deux dents. Une fois rossé par les deux frères de la donzelle, alors qu’il reprendrait ses esprits dans un coin, la fille marcherait droit sur lui pour lui asséner ces paroles terrifiantes : qu’il ne s’imagine surtout pas avoir le moindre droit ! Heureusement pour lui, elle s’efforcerait de parler un peu anglais pour qu’il retienne bien le message. Et Brusselmans donnerait à cet ensemble paraissant maintenant un tantinet invraisemblable au lecteur, la dose exacte de réalisme et de comique dont a besoin une histoire de ce genre. Tout ça n’est pas mon truc. J’essaie de considérer mes observations comme l’ébauche d’un essai incisif dans lequel je porte, de façon lucide mais très accessible, un regard sur la dégradation générale de ces sociétés d’abondance.

La pensée que les parents impuissants détourneraient la tête devant tant d’impudicité semble basée sur une estimation erronée. Les parents ne sont pas en reste, tant s’en faut ! Une pétasse de seize ans vient à peine de passer qu’il en arrive une autre, un peu plus âgée, avec une couche de maquillage plus épaisse comme appliquée à la truelle, et souvent juste un peu plus éméchée encore mais avec davantage de savoir-faire pour masquer ce débordement par une attitude qui semble quasiment signifier « Touche pas à ma cotte! » : la mère. Les mères sont aussi malignes que leurs filles, plus expérimentées et donc plus rusées et plus acharnées encore à trouver un bon morceau. Pas forcément un homme. Une bière bien fraîche peut très bien faire l’affaire aussi.

Les femmes s’habillent par rapport aux normes hollandaises d’une manière extrêmement provocante. On pourrait dire : comme des putes. La surface moyenne de tissu sur une greluche de Sheffield suffit juste à confectionner un gant de toilette. Les corps sont bronzés, par ci par là un anneau, une petite étoile, un piercing. Des talons, des talons hauts. « Ici, personne ne trouve cet accoutrement choquant ou vulgaire. Il est communément accepté. » Je me permets d’en douter. « Communément accepté » signifie que les présentateurs du journal télévisé s’habillent ainsi dans l’exercice de leur profession. Je ne vois pas les speakerines faire ça. Pourtant il est exact que cette étalage de chair paraît plutôt innocent : les quelques fois que j’ai arpenté de long en large la rue principale, je n’ai perçu aucune agressivité ni comportement désagréable envers les femmes.

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Je sais que le cirque a repris quand je me réveille en sursaut en pleine nuit parce que quelqu’un s’est mis à hurler sur le parking. Cela se passe toujours de la même façon. La plupart du temps, une femme qui hurle à tue-tête, hurlement qui couvre tout et tout le monde et qui n’est pas un appel au secours. C’est un appel à l’imitation. Une fraction de seconde après retentit le deuxième cri, provenant également d’un gosier féminin. L’hystérie entame sa grande fugue. Il s’est formé un groupe de femmes en face duquel se tient un groupe d’hommes hurlant plus fort et avec beaucoup plus d’exubérance mais nettement moins d’endurance. Le chœur a repris le thème. Le cri d’une femme possède une fréquence plus haute et de ce fait il vrille davantage le tympan. Une fois qu’on a bien crié, il faut se courir après. Au début, je croyais qu’il se passait quelque chose de grave. Un vol. Un viol. Un meurtre. Dans cet ordre. La cause était tout autre. L’alcool. Le plaisir. La lubricité. Tant d’énergie qui ne trouve pas d’exutoire. Je ne suis pas en mesure de dire s’il y a réellement passage à l’acte. « Pour un Anglais, une soirée n’est véritablement réussie que si, à sa grande honte, il n’arrive pas à dire le lendemain matin ce qu’il a fait la veille au soir. » Il est donc possible qu’il ait tout fait ou, au contraire, rien du tout. La vie est un trou noir dans lequel tout disparaît. Boire de la bière comme équivalant du rapport sexuel protégé.

Une soirée qui commença de manière bon enfant dans un pub de quartier où, vers les dix heures, on passait déjà les vieilles rengaines habituelles, que fréquentait une clientèle ordinaire, sans façons, et où les vierges locales, en présence d’un homme inconnu, donc tout frais, se mettaient à ajuster leur soutien-gorge, à jouer de la prunelle et à diriger stratégiquement leur regard en direction de la petite table où s’était installé cet homme. Ce fut la partie agréable de la soirée.

Aux environs de deux heures, la déchéance des bonnes manières bourgeoises bat déjà son plein parmi ces jeunes dont j’espère qu’ils redeviendront raisonnables un jour, même si je n’ai pas de doute à ce sujet, car outre son aptitude à se bourrer, l’homme dispose aussi du talent de se corriger. Des filles aux yeux rougis déambulaient comme des âmes en peine dans les rues à la recherche d’un taxi, d’une bouteille de vodka, d’un mec. Je vis un gros garçon regarder d’un air dubitatif sa copine qui, sans se mettre vraiment à l’écart, s’enfonça un doigt épais dans la gorge pour en faire jaillir soudain un jet brûlant de vomi comme un flot de lave de l’Etna. Elle était là, en train de dégobiller avec une aisance professionnelle qui me choqua. Il la regardait comme s’il regardait une illusion longuement caressée qui ne semblait soudain plus reposer que sur du vent. Ce que je vis dans ses yeux, je le reconnus sans hésitation, c’était l’angoisse d’être rejetée par une fille qui, après s’être vidé l’estomac, passablement dégrisée, a retrouvé ses esprits et décide de ne pas l’accompagner, de sorte que tout le temps et toutes ces misérables émotions investis en elle l’ont été en pure perte. Les sorties nocturnes sont régies par une logique très efficace et impitoyable. Je voulais m’asseoir à côté de lui, le consoler, et le calmer aussi, mais je compris qu’il n’en avait rien à cirer des belles paroles d’un inconnu. Il préférait voir sa copine aller mieux ; quant à l’échelle qui déparait son collant, il ne la voyait pas de toute façon. Il espérait en silence que quand elle serait un peu remise, elle déciderait quand même de rester avec lui pour continuer à boire. Rien de plus beau que de s’éveiller à côté de quelqu’un qui a, comme vous, une belle gueule de bois. Surpris et perplexe, je marchais en rond. Je m’étonnais de tout ce que je voyais, tout allait si vite et il y avait tant à voir que je devais parfois me pincer la joue pour me ressaisir. Un groupe de filles me dépassa : à ce stade de la soirée, elles commençaient à se taper mutuellement sur les nerfs, à en juger par le langage des corps. Elles sont trois, deux d’entre elles très jolies et lascives, la troisième, terne et insignifiante. Cette dernière affiche une dépendance puérile qui horripile les deux autres, plus rouées. Et l’inévitable que redoute tant la troisième fille, ne manque pas de se produire. Elle est larguée par les deux autres qui partent en direction d’un taxi comme deux coureurs cyclistes qui piquent un sprint dans le dernier tour et lâchent le petit coureur collé tout ce temps à leurs roues et dont le rôle est définitivement terminé. Épuisée, les bras pendant le long du corps, la gamine reste plantée sur place et, à la manière d’un être aimé qui contemple un lointain souvenir, elle fixe les deux amies qu’elle aurait tant voulu avoir, mais qui déguerpissent dans un taxi. À coup sûr pour en descendre quelques centaines de mètres plus loin, dans un endroit où, délivrées de ce poids mort, elles peuvent poursuivre leur soirée à leur guise. Sur ce point, le monde est bien mal foutu, surtout le samedi soir.

Je vois un groupe de filles de couleur, la plupart sur des talons aussi hauts que la pyramide d’Austerlitz, d’autres pieds nus, faisant tournoyer avec désinvolture leurs escarpins hors de prix autour de leur index, qui, se passant la bouteille, descendent avec application un magnum de vodka. On pense à une scène de documentaire sur la nature où un groupe d’oiseaux se délecte d’un calice rempli de nectar. Elles boivent avec une discipline qui conviendrait davantage aux dragons de Tolstoï dans Guerre et Paix qu’à ces attrayantes sauvageonnes. Pour arriver chez moi je dois encore emprunter une rue ou deux. Je tourne le coin et avant que je m’en aperçoive, un objet en verre explose près de mon oreille. Une bouteille. Je regarde avec effroi autour de moi, tout en me tenant sur mes gardes en prévision du projectile suivant qui pourrait m’atteindre. Quelque chose a été lancé dans ma direction sans autre but que de me toucher. C’est ainsi que je me suis vu rejeté de la vie nocturne et que je n’y suis plus retourné.

(1) Dans le texte, Elckerlyck (Everyman, dans sa version anglaise) : titre d’une moralité flamande du XVe siècle.

Traduit du néerlandais par Annie Kroon

Annie Kroon (1944) est traductrice littéraire néerlandais-français. Elle a, entre autres, traduit une dizaine de livres de Hella S. Haasse et des romans d’Anna Enquist, Lucette ter Borg, Tomas Lieske, Joseph Pearce et Henk van Woerden. En 2008, elle a reçu le Prix des Phares du Nord, un prix biennal pour la traduction de littérature néerlandaise en français, remis par la ‘Nederlands Literair Productie- en Vertalingenfonds’ [Fondation pour la production et la traduction de la littérature néerlandaise] et le ‘Vlaams Fonds voor de Letteren’ [Fonds flamand des lettres]. Kroon a reçu le prix essentiellement pour sa traduction de ‘De groten der aarde of Bentinck tegen Bentinck’, en français: Madame Bentinck, l'indiscrète. Ce livre est paru auprès des Editions du Seuil.